Aspects juridiques du multilinguisme
(Discours de l'avocat général de l'État, Oscar Fiumara, à la conférence sur "L'égalité des langues dans l'Union européenne" - Florence 10 mai 2008). La question du multilinguisme n'apparaît pas immédiatement dans le droit communautaire - aujourd'hui, nous devrions mieux dire droit européen - dans sa configuration actuelle. Dans une première phase, précisément celle, strictement "communautaire" du droit européen, le thème se pose comme le thème du régime linguistique des institutions européennes naissantes, c'est-à-dire, à première vue, en tant que thème interne ou organisationnel, pas en tant que Mais même à ce stade, il est déjà significatif de savoir comment l'article 290 du traité CE (j'utilise, bien sûr, la numérotation actuelle) en traite : l'article 290 donne au Conseil le pouvoir décider du régime linguistique des institutions, et prévoit que cette compétence s'exerce à l'unanimité. Aussi la matière linguistique, même dans cette projection purement interne, a-t-elle été immédiatement considérée comme une réserve du moi. mbri (dont le Conseil est l'expression institutionnelle), et éloignée à la fois de la Communauté en tant que telle (dont la Commission est l'expression institutionnelle), et des majorités changeantes qui peuvent se former au sein du Conseil, et qui ont parfois marqué l'histoire de la construction communautaire la prédominance des "axes" et des intérêts de certains Etats par rapport à l'ensemble de la Communauté elle-même. 290 a dit (et dit, puisque le traité de Lisbonne l'a également laissé inchangé) que le régime linguistique n'est pas un fait purement technique (pour cette raison, il est retiré de la Commission), et que ce n'est pas un fait purement politique (pour cette raison , dans le cadre du Concile, l'a retiré du jeu des majorités). Déjà dans cette discipline de la matière, on voit donc que tout ce qui, dans le cadre communautaire, touche aux langues, est considéré comme relevant des fondements de la construction de la communauté elle-même, c'est-à-dire comme quelque chose qui concerne directement la raison d'être et les objectifs essentiels de la construction communautaire, pour lesquels elle doit être réglée par des compétences et des procédures de garantie significative. Bref, déjà l'art. 290 CE déclare qu'en matière linguistique aucune intervention n'est admise dont la légitimité démocratique et la pondération approfondie ne sont pas certaines, et il est significatif que cette configuration de la matière linguistique en tant que matière relevant des intérêts fondamentaux de la Communauté soit placée avant tout dans une norme, comme "l'art. 290 CE, qui apparemment, comme je l'ai dit, porte sur un problème d'organisation purement interne de la Communauté, c'est-à-dire sur la langue de fonctionnement des institutions communautaires : ainsi l'art. 290 ne revient pas seulement à dire que la langue n'est jamais un simple fait d'organisation et est toujours un fait d'importance juridique fondamentale dans la construction de la communauté. Bien plus, cela revient à dire que la garantie fondamentale de la langue opère dans l'ordre communautaire, surtout en référence aux expressions juridiques de la communauté. En effet, le droit communautaire émane des institutions communautaires, et cette loi déclare l'art. 290, doit s'exprimer dans toutes les langues communautaires Après tout, on sait que le droit est toujours, à l'origine, un fait linguistique : la norme a toujours la forme d'une proposition linguistique (surtout, mais pas seulement, dans le droit écrit ; vrai, mutatis mutandis, même en droit fondé sur le précédent jurisprudentiel) : le pouvoir juridique est donc d'abord le pouvoir linguistique. Il s'ensuit que dans une Communauté, voire désormais une Union, fondée sur l'égalité des États et de leurs citoyens, toutes les langues doivent avoir la même dignité juridique : le droit européen est destiné, par sa nature, à se manifester dans toutes les langues européennes. Le jour où certaines langues acquerraient seulement le rôle de langues spécifiques d'expression juridique européenne, le droit ainsi exprimé ne serait plus authentiquement européen. 290 CE Le premier développement a été le règlement 1isivo a ensuite été l'impulsion donnée par le traité d'Amsterdam, qui a introduit à l'art. 6 du Traité de l'Union, paragraphe 3, selon lequel l'Union respecte l'identité nationale de ses États membres. Et l'expression incontournable de l'identité nationale est, bien sûr, la langue.Le traité d'Amsterdam introduit alors dans l'art. 21 du traité CE, paragraphe 3, selon lequel tout citoyen de l'Union peut écrire aux institutions dans sa propre langue et a le droit d'obtenir une réponse dans la même langue. Cette innovation est très importante d'un point de vue systématique parce qu'elle est immédiatement liée à la grande innovation du traité d'Amsterdam, qui est l'introduction, avec le nouvel article 17 du traité CE, de la citoyenneté de l'Union. Le droit à sa propre langue dans les relations juridiques avec les institutions communautaires est donc l'un des contenus fondamentaux et inaliénables de la citoyenneté communautaire. Privé de ce contenu, le principe de citoyenneté communautaire risquerait de s'éteindre dans une proclamation rhétorique. 21 n. 3 et art. 17 du traité CE modifié par le traité d'Amsterdam achève donc ce processus d'affirmation du multilinguisme depuis le début pressenti par la formulation originale (et sans surprise jamais modifiée) de l'art. 290 CE : le multilinguisme comme valeur fondatrice de l'Union, et donc non seulement comme fait organisationnel mais, bien plus, comme garantie juridique fondamentale pour les citoyens européens.Cette évolution est couronnée par le récent traité de Lisbonne, qui modifie l'art. 2 du traité sur l'Union en introduisant le principe selon lequel l'Union respecte la diversité linguistique. De cette façon, une pertinence juridique définitive est donnée au principe du multilinguisme, qui jusqu'à présent n'avait été affirmé dans les mêmes termes que par l'art. 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont la valeur juridique, on le sait, ne peut aller jusqu'à modifier les traités fondamentaux. Bref, le multilinguisme est toujours, dans toutes ses manifestations, une valeur juridique, et pas seulement une valeur culturelle. La situation juridique que j'ai résumée exclut la possibilité d'établir deux niveaux : celui des langues européennes comprises comme un fait d'expression culturelle (qui sont évidemment toutes, puisque chaque pays européen est porteur d'une culture laïque), et celui des Les langues européennes doivent être comprises comme un fait d'expression juridique (qui peut même ne pas être toutes les langues européennes). Non : l'expression juridique européenne est nécessairement multilingue comme l'expression culturelle. Si l'on veut, il représente la culture européenne qui se donne raison Dans cette perspective, le traité de Lisbonne aurait peut-être pu faire encore plus, c'est-à-dire affirmer l'art. 81 de la deuxième partie de la Constitution européenne, qui a directement constitutionnalisé le principe de l'art. 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, contenant l'interdiction de la discrimination fondée sur la langue. Le traité de Lisbonne s'est limité à reformuler l'art. 6 du traité UE, y compris une référence expresse à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, donc également à l'art. 21, et la disposition selon laquelle ces derniers ont la même valeur juridique que les traités. Un chemin un peu plus long pour affirmer cependant un principe inaliénable : la langue nationale fait partie du patrimoine juridique inaliénable de tout citoyen européen au même titre dans son relations avec les autres citoyens et avec les institutions communautaires. Toute restriction à cet égard serait discriminatoire En conclusion, on ne peut manquer de mentionner l'apport de la jurisprudence communautaire. La Cour de Justice en Grande Section dans le récent arrêt du 11 décembre 2007 (affaire C-161 complète le chemin que j'ai tracé : en effet, aucune garantie n'est vraiment telle tant qu'elle n'a pas trouvé son propre juge.